Le don d'une image, n'est-ce pas par là que tout commence ? Ici, pour lui, un miroir. Un paysage fondu-enchaîné qui s'écrit sans un mot. Le reflet du livre qu'il creuse, pour peu que nous puissions parler de livre. Aucune pensée n'est encore née. Image vierge d'histoire, comme la parole qu'il creuse. Sur cette image que le temps a joué à décomposer avant de la recomposer, une main retient l'instant. Image figée. 
 

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Il y avait un visage, sans nom, un regard, de la peau, des cheveux, que le temps a balayé en fuyant entre les doigts de la main. Pas de trace sur l'image et pourtant le visage n'est plus là. Il n'écoute pas, il creuse. Ils sont tous morts, dit-il. Nous ne parlerons pas, nous ne lui dirons pas la vérité. Elle ne serait que la notre, pas la sienne. Que savons-nous pour prétendre parler à celui qui creuse, nous qui n'avons qu'un monde muet à lui offrir ? Embarquement pour la vie, sculptent en lettre d'eau les vaguelettes sur la coque du bateau. Si terre en vue dans le gouffre, la marée nous portera. Mots clapotant dans la marge, le seul endroit qui ne risque pas de s'effondrer sous les coups de pioche.
Le visage était usé, on ne sait plus à qui il appartenait, à un homme, à une femme, à l'un ou à l'autre d'entre nous, un visage fantôme dans un lieu impossible, là où vivent les fantômes. Nos lieux impossibles. Il creuse. Ils sont tous morts. Il a enterré ses livres sous les décombres d'une pensée aliénée. Il a enterré ses livres pour ouvrir celui-ci. L'ultime voyage, le seul réel. Réels sont ces coups de pioches dans nos chairs, disent les mots. Tout à l'heure, l'un d'entre nous disait, le temps génère de la matière, nous finirions par sortir d'ici s'il arrêtait de creuser. Vogue une autre galère, a-t-on annoté dans la marge. Est-ce de lui ou de nous ? Il n'écrit pas, il creuse. Coups de pioche. Tête en l'air au large des fadaises. Un trou dans une page peut-il avoir un fond ? Faut-il le reboucher avant de tourner la page ? Pourquoi tourner la page, alors qu'ici nous avons tout ce qu'il nous faut pour écrire le livre ?
Pause.
Pioche dans la poche, mains terreuses, preuve qu'en creusant un peu le blanc de la page, on peut y trouver des possibles. Pioche dans la poche, il est dans l'image et regarde l'horizon. Sa vie va commencer. C'est écrit. Là, nous venons de l'écrire. Plume de mouette, n'a-t-il pas fini de creuser son tunnel ? Fin du fin, s'accouche-t-on tout seul de son histoire ? J'avais glissé ce bateau entre deux pages, fort presser, pour mettre l'embarcation sur l'image. Le lointain est derrière lui, il creuse ici, ne dit rien. Un énorme rien comme une vague déferlante vient s'inscrire en toutes lettres dans le trou de la page. Tombe et meurt, le rien est toujours quelque chose quand on creuse. La page quant à elle deviendrait de plus en plus blanche au fur et à mesure que le trou s'agrandit. C'est par là que le temps devient océan et marées lunaires, c'est par là que le trou s'efface, par le trou qu'emporte le temps.
     

 
 

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