A la Une : le fossoyeur est amoureux de la funambule. C'est le bruit qui court, un bruit qui court vite, d'autant plus vite qu'il est aveugle, se cogne contre les murs qu'il rencontre et ricoche, éclate, se déforme et se multiplie comme un immense rire dans un hall de gare désaffectée. Il court, et je m'essouffle à vouloir suivre cette cacophonie. Pause. Je me présente, je suis pigiste pour le journal local. Simple pigiste, alors que je ne vois nulle part de rédacteur en chef, pourquoi ne suis-je que pigiste ? - ceci est une revendication soumise à la bonne réflexion de qui de droit. Est-ce parce que je suis le plus jeune, ici, qu'on me refile les petits boulots ? Il était un petit navire, vous connaissez ? C'est celui qui qui qui sera mangé... Alors le pigiste court tel un bruit qui se répand là où il peut se glisser. Méfiez-vous des bruits qui courent et de ceux qui leur courent après, dit-on dans les ruelles. Ceci n'est pas une menace. Sera ce qui sera, marmonne le vagabond ici ou là. Courir après un bruit, d'abord vague informe qui deviendra déferlante et changera le profil de l'Histoire. Selon ce que j'en ferai. Mon rôle est d'interviewer ce bruit, avec ou sans son consentement, traduire ses propos. Mon rêve : devenir traducteur. Traducteur de rêves. Non, pas psy, un vrai de vrai traducteur, qui s'intéresse à la perso de celui qu'il traduit, à sa vie avant, pendant, mène une enquête approfondie, tellement approfondie que j'en oublierais ma propre identité, sur laquelle, d'ailleurs, on ne m'a pas dit grand chose. Mon ambition : traduire le monde en langage de la cité, ce qui revient à le traduire en mon langage, puisque c'est moi le pigiste qui piste le bruit qui court dans une cité pleine de trous, et de dangers réels. Sachez-le, vous qui me lisez, il faut apprendre à sauter, à voler, à disparaître, ou plutôt à ne pas disparaître, car Dieu sait où vous atterrirez si vous n'y prenez garde, avec ce fossoyeur qui nous transforme en troglodytes. "Le fossoyeur et la funambule", vous parlez d'un titre aguicheur, certainement plus que "le pigiste et la funambule", tiens. Pourtant, hier le peuple de la marge a beaucoup travaillé, en top secret service, aucun bruit ne filtre de ce côté là. Je sais simplement que nous avons reçu beaucoup de visiteurs. Je pourrais bien imaginer ce qui s'est dit dans les fourrés des bas-côtés, système brouillé, encre sympathique, il y aurait de quoi faire un bon papier. Mais non, le fossoyeur est tombé amoureux... vous parlez d'une affaire... Comment un fossoyeur... ? d'une fumambule... qui passe son temps dans le ciel de la cité, perchée sur son fil, araignée du soir évoluant sur la toile d'un cosmos sur lequel aucun astronome ne s'est encore penché, à se demander s'il existe ce ciel. Une funambule évaporée déroulant des histoires légères de funambules printanières, sur des airs soufflés par quelque descendant indirect d'Eole, qui s'en va les emporter jusque dans les profondeurs obscures que seul un fossoyeur peut habiter. Ce fossoyeur qui ne dit ni n'entend plus. Rien de précis là-dessus. Des bruits courent. Et en particulier celui-ci, le fossoyeur est amoureux de la funambule. Par contre, et ce sera notre conclusion du jour, nous avons beau remonter le fil à l'envers, rien ne laisse sous-entendre que la funambule soit amoureuse du fossoyeur.