Décor
: sable, falaise, la mer au loin, rochers, soleil, ciel bleu,
quelques nuages juste ce qu'il faut, pas de vent, le matin. Je
suis assise sur une sorte de chuintement mouillé. En échappant
à la vision du détail dans laquelle on se perd
parfois à défaut lorsqu'on cherche la petite bête
alors qu'on se trouve dans la grosse, et qu'on reprend serein
sa position d'observateur du plan d'ensemble, alors on voit.
Le rocher bouge de partout. Sa surface ressemble à un
petit monde en ébullition. Des mouches. Des centaines
de mouches au sol. Le son chuintant ne vient pourtant pas du
frottement de leurs pattes sur la roche. D'ailleurs, il ne s'agit
plus tellement de la vision d'une roche mais plutôt des
milliers de micro-coquillages qui la recouvrent. Un bruit de
succion. La mer est loin, retirée comme un escargot endormi
dans sa coquille, elle n'est plus que quelques traces ici et
là. Elle nous parle de loin, comme un écho à
ce qui se passe là-bas. Là-bas, ce vague et lointain
monde, presque irréel sur cette plage, si proche pourtant,
l'horizon n'est qu'une ligne abstraite que les rêves effacent
facilement. Echo roulant que vient subitement fracasser le cri
du goéland. Mais ce bruit mouillé, cette succion,
semble vous aspirer, vous digérer. Je vois maintenant
le coquillage soulever lourdement son chapeau chinois. Deux cornes
noirs s'aventurent, une liqueur acqueuse s'écoule sur
la paroi pentue du rocher. Patelle. Une véritable invasion,
et elles me bavent dessus. Je déménage, va savoir
les traces que laissent les humeurs de ces mollusques sur un
tissu clair. Si je peux fuir les arapèdes, et elle me
serviront d'appui solide pour gravir plus haut le rocher, je
ne peux fuir le soleil. Il est encore tôt le matin, et
pourtant il mord déjà bien fort. Ces bruits de
déglutition, viennent-ils vraiment des coquillages ou
du soleil qui est en train de me digérer ? Entr'acte :
le voyage de l'arapède. Un coup de talon vif bien placé,
le muscle, surpris, lâche prise, coquillage tombe à
l'eau. "Arapède à la mer", branle bas
de combat. Vite, elle va se noyer. Nous mettons
tout en oeuvre pour la sauver. Il ne sera pas dit que. Je n'hésite
pas à plonger dans l'eau froide, je m'empare du naufragé,
le dépose sur un rocher. Il est sauvé. (Ne pas
faire de commentaires dans la marge, c'est humain tout ça)
Derrière nous, nous
constatons la fraîcheur des derniers éboulements.
Cadavres d'arbres encore gorgés de sève, mêlés
à la boue. Algues noires, algues vertes, cris de mouettes,
nuages en forme de rubans, la funambule est dans les airs, levez
la tête, elle garde ses moutons. La mer au loin et l'horizon
dedans. La paix est comme une vaste rumeur à laquelle
on aimerait croire. La mer au loin, et sur cette mer un navire
de guerre, pesant sur la mer, pesant sur l'horizon, pesant, comme
pèse dans son sillage au point mort, ancre jeté,
la cacophonie étouffée des... Chut, me souffle
la sirène. Goût de métal à l'eau de
mer, salée comme les larmes à l'amer. Chut, reprend
en écho, Jodhra. Rumeurs de paix. Pourtant les mouches
se multiplient sur les rochers, elles leur donneraient presque
la vie, si on s'y attardait. La vie. La mer au loin. Ici l'homme.
Ici. L'endroit le plus en paix de la planète. Ce jour.
Le...
Ici, il y a des vallées creusées
dans le sable. Des traces de pas, les miens, trois doigts palmés,
ah non , ce sont ceux d'un oiseau. Des montagnes, des forêts,
la mer au loin, des mares d'eau claire, des marécages,
des océans, l'amer si loin. Des îles reliées
entre elles par des bans de sables. Marée basse. Des milliards
de milliards de grains de sable, et aucun rouages ne grincent,
les choses sont à leur place. Roue ou spirale ? Rien n'est
jamais pareil. La falaise, la plage, le sable, le ciel, les mouches,
la mer, la mer. La sirène a emporté Jodhra par
monts et merveilles. Ne sait quand reviendront.
La terre bruisse de partout
autour de moi. Elle nous recouvrira. Les sables sont mouvants,
ils sont des tapis volants cosmiques. Seule la mer est immuable.
Immense, implacable.
Les mouches se rapprochent.
Ce sont de petits insectes élancés, légers,
hauts sur pattes, noirs. Au moindre mouvement, nous risquons
de tomber du rocher, qui sait si le sol ne se dérobera
pas sous notre chute ? Qui sait la valeur des distances entre
le moment a du départ, et le moment b de l'arrivée
? Qui sait à quels détours nous risquons encore
d'être confrontés? Il suffit qu'un grain de sable
s'envole et se pose sur un rouage, et le plan du labyrinthe s'en
trouve modifié. Chute, ventre en l'air, pré-digéré
par le soleil, entrailles diluées dans l'eau sableuse.
Aucune patelle ne viendra te sauver, si tu tombes, aucune patelle
ne viendra te faire tomber.
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Course - essoufflements. Envie
de crier. La mer se rapproche. Elle parle. Toutes les rumeurs
du monde en vie. Elle est là. Mes larmes à la mer
- Purée de satané pénible étouffant
pollen. Je me noie dans l'air.
Nous avons traversé
des déserts et des jungles, le livre nous aura suivi.
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