repères (journal de bord et de débords - page 5)

 

 

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25 janvier : laboratoire d'essais : pas de fiole, pas d'éprouvette, pas de cornue, juste une paillasse blanche et quelques précipités ô combien volatiles, à peine perceptibles. Et sur le bout de la langue, des mots, hésitants, des mots gommés, des mots absorbés par une distraction innocente, des mots rongés par l'amylase mnésique, des dépots, des gravats, des bouts de mots, des mots sourds qui dansent au loin dans le déjà passé, insaisissables, libres de ne pas être dits, des mots sans maîtres, des mots perdus, des mots d'ailleurs. Furtive dimension, en déséquilibre entre deux mondes. Ci-gît l'absence, tout devient blanc, opacifiant les sens, coupant court à l'expérimentation, les pensées sont ailleurs. Et bien, allons ailleurs ... Il était là, hier encore, mangeant à pleine bouche son bout de pain, faisant des ronds avec ses machoires, étirant les traits de son visage en larges grimaces assouplies par des décennies de pratique. Formes. Des formes, creux, rides, gouffre buccal. Les yeux clos. Je le regarde bouger. Une certaine grâce spatiale, la matière en mouvement. Il a toujours un livre dans les mains, il est toujours à la même table, près de la fenêtre. Le livre est usé, corné, papier veilli, jamais le même, toujours un polar, écrit en français, il sourit aux mots et leur répond en les annotant, bénie soit la marge. C'est dans la marge que s'ouvre le monde du lecteur, que le livre finit d'échapper à l'auteur. Je suis dans sa marge, je trace dans la mienne ses expressions devenues familières. Je le lis. Son grand sac rouge est posé sur la tablette derrière lui. Sa montre sur la table. Cette montre au gros bracelet métallique enroulé est comme une anomalie, elle semble jouer le rôle d'une intruse dans la composition du tableau. Légère dysharmonie, c'est par là que ce que je sais de lui s'échappe. On ne sait rien, c'est bien ainsi. Deux tasses de café sur le plateau, une vide, une encore fumante. Il lit, ses yeux balaient la salle. Je lis, je le regarde quand il lit, quand il mange, quand ses yeux vadrouillent hors de la page. Hop, regards croisés, collision de présences, échappées vives, particules de l'un contre particules de l'autre, sauve qui peut où chacun peut, rebonds sur les murs, les livres, le monde, la rue, la salle, le livre, lui. Un jour, je lui dirai bonjour, ne serait-ce qu'avec les yeux, un jour, quand les siens le voudront bien.

24 janvier : programme du matin : faire fi des doutes. Le noter. L'annoter, serait mieux ? Que dire d'un doute ? qu'à trop vouloir le disséquer, le traduire, le dérouler, l'expliquer, lui donner de l'importance, on se ferait croire qu'on se prend au sérieux. Boule de doute, entre les dents, machouillée, sans goût, jetée pannier. BUT ! Le doute est resté derrière, et même s'il nous attend de nouveau au prochain virage, c'est la ligne droite qui est l'instant présent. Profitons-en pour traverser. "les mots sont comme des pierres placés en travers d'une rivière pour en faciliter la traversée"* : lire, savoir lire, avoir sa façon de lire, faire sien le livre. Le livre devient peau, certains nous vont comme un gant. Peau retournée, nous sommes dedans, nous lui allons comme un corps à former, offert. Regarde comme il épouse les formes de ma pensée, miroir, vois comme elles se lient à lui, que crois-tu que tes troubles reflets puissent encore dévoyer ? ...ligne droite... Je continue ma lecture de La caverne. "Il faut comprendre que dans les circumnavigations de la vie ce qui est brise plaisante pour les uns peut être tempête fatale pour les autres, tout dépend du tirant d'eau de l'embarcation et de l'état des voiles"*. Et que savons-nous de l'état des voiles de l'embarcation de cet autre, si nous ne savons pas faire l'effort de l'écouter, l'écouter en sa parole à lui, non en la notre ? Ma voile va bien, merci, mais je sais des coups de vent ravageurs sur mon océan de sable. Un petit grain peut devenir une tragédie homérique. Et tous les dieux et diables de nos plus antiques réminiscences viendraient bien y faire ripaille. Alors, sagement, nous rapiéçons, ravodons, reprisons, tissons sans relâche, la grand voile, pour garder droit le cap, matelot. "nous ne devrions jamais nous sentir sûrs de ce que nous croyons être car en cet instant nous pourrions très bien être déjà quelque chose de différent."* Aussi, loin de moi l'idée d'affirmer quoi que ce soit, petites certitudes ont fait long feu.

* citations extraites de La caverne - J. Saramago

23 janvier : "C'est parce que j'aime bavarder avec vous comme si vous n'étiez pas mon père, j'aime faire semblant, comme on dit, que nous sommes simplement deux personnes qui s'aiment beaucoup, un père et une fille qui s'aiment parce qu'ils sont cela, mais qui s'aimeraient autant, d'un amour d'amis, s'ils n'étaient pas père et fille." La caverne - José Saramago. J'avais le livre depuis quelques mois, attendant qu'il m'appelle. J'avais été forte impressionnée par L'aveuglement. "Cela se mérite de lire Saramago". "La caverne" est un livre accueillant, ses premières dizaines de pages sont chaleureusement humaines, je m'y sens bien. ... Des livres, mes livres sont comme l'écriture de Saramago, comme un flot qui menace de déborder et qu'il me faut maîtriser. Ils envahissent mon espace, plus vite que je ne peux les lire. Et là, j'entrevois déjà ceux que je voudrais posséder... posséder, non, ce sont eux qui me possèdent tant que je ne me lie pas à intimement à eux. Lire, à lire, lu. Lu dans la revue artpress, un article de Michaël Ferrier, sur le dernier livre de Philippe Forest "La beauté du contresens", un livre concernant la littérature japonaise, mais qui semble s'ouvrir sur un bien plus vaste espace littéraire. "Les beaux livres sont écrits dans une sorte de langue étrangère. Sous chaque mot chacun de nous met son sens ou du moins son image. qui est souvent un contresens. Mais dans les beaux livres, tous les contresens qu'on fait sont beaux." et Ferrier de me tenter plus encore en conseillant innocemment, "l'utile complément : Nostalgies et autres labyrinthes, entretiens de Oé Kenzaburô avec André Siganos et Philippe Forest"... qu'elle est agréable cette petite excitation de la curiosité ! ... retour... l'écriture de Saramago ? : "Autoritaires, paralysantes, circulaires, parfois elliptiques, les phrases à effets, appelées aussi dans un esprit facétieux pépites d'or, sont un des fléaux les plus pernicieux qui aient ravagé le monde. Nous disons aux irréfléchis, Connais-toi toi-même, comme si se connaître n'était pas la cinquième opération de l'arithmétique humaine et la plus ardue, nous disons aux abouliques, Vouloir c'est pouvoir, comme si les réalités bestiales du monde ne s'amusaient pas à intervertir chaque jour la position de ces verbes, nous disons aux indécis, Il faut commencer par le commencement, comme si ce commencement était l'extrémité toujours visible d'un fil mal enroulé, qu'il suffirait de tirer et de continuer à tirer jusqu'à parvenir à l'autre extrémité, celle de la fin, et c'est comme si, entre la première et la seconde, nous avions eu entre les mains un fil lisse et continue le long duquel il n'avait pas été nécessaire de défaire des noeuds ni de débrouiller des étranglements, ce qui est impensable dans la vie des écheveaux, et si une expression à effet nous est permise, dans les écheveaux de la vie." (extrait de La caverne - J. Saramago)

22 janvier : A fréquenter le passé, on finirait par s'y chercher. Y chercher ce qui nous ferait place. Dante et Virgile aux EnfersY retrouver sa trace, et vouloir en rapporter un souvenir avec soi, en faire un survenir en soi, et faire autre cette trace ...dérive... L'enfer : "Le tourment que tu as t'efface peut-être de ma mémoire, si bien qu'il me paraît ne t'avoir jamais vu." (Dante - chant VI) En enfer les mots se perdent dans les gargouillis de la gorge noyée de boue. L'oubli de l'autre est une porte ouverte sur l'enfer. Les mots de Dante nous sont une barque voguant dans le musée de l'horreur (ci-contre le tableau d'Eugène Delacroix) ...dérive... Venise serait un paradis ? libre à soi de choisir entre le "libertinage poussé à son comble, (ou la) pureté de la méditation sacrée." C'est ainsi, Venise, nous dit Sollers, dans son dictionnaire amoureux de Venise. Et il passe adroitement de l'amour libertin à l'art sacré, encore de l'amour. "rien n'est le contraire de rien" ...dérive...
"Clarté, nous t'invoquons
   depuis le labyrinthe" Ezra Pound
"Ezra Pound a percé une fenêtre en notre mur." écrit Michel Butor. Il ajoute : "Quel sens du livre ! Quel sens de la langue et des langues ! [...] Un mot chez lui, n'est jamais seul, une langue non plus, donc un peuple ; un mot, c'est toute une façon de parler, de penser, de voir, de vivre, qu'il apporte avec lui." (Les Cantos, Ezra Pound). Je ne sais pas tout lire, ni le chinois, ni le latin, ni le grec, ni le... ni le, je me débrouille avec l'italien comme je peux. Andiamo, andiamo.
"Pour un raffinement du langage, c'en est un

 
Si nous n'écrivons jamais rien qui ne soit déjà compris, le domaine de l'entendement ne grandira jamais. On réclame le droit d'écrire, de temps à autre, pour cette poignée de gens dont les prédilections sont spécialisées et dont la curiosité va plus loin dans le détail." - Trônes - E. Pound  
Mise en chemin du petit monde minéral, sur la page promenades

20 janvier : journal personnel : un petit pas de danse, souris inconsciente, devant le miroir trouble, de dos toujours, les yeux bandés, juste sentir, éveiller les formes, rêver un saut de chat, souple, les muscles vifs, le poil brillant, la perfection devant le miroir de l'illusion, les mots brûlant, dévorant le nid blanc, des braises pour recouvrir les cendres, ce qu'on appelle la foi, insidieusement soufflée par le vent de la lucidité, voyage en crash-land. Le sol se dérobe. Ainsi va l'écriture, cet exquis petit moment qui mène au bord du gouffre. Le miroir trop net, le trouble en soi, les mots déformés, de guingois, couleurs éteintes, étreintes douloureuses. Songer à la vie. Se dégager de la grisaille. Parler lecture, des heures passées avec Narcisse et Goldmund. L'un et l'autre, l'esprit et la vie, que serait l'un sans l'autre ? Accepter l'immersion dans l'écriture imagée d'Hermann Hesse. "Il ne manque pas de ces gens à qui il a été donné de sentir profondément et dans toute sa puissance la beauté du monde, et de conserver dans leur âme de hautes et nobles images, mais qui ne découvrent pas la voie par où elle pourront se dégager, se manifester au-dehors et se communiquer aux autres pour leur joie." Faire oeuvre d'art. Faire oeuvre d'homme... d'autres mots lus là-bas, en ce lointain, entendre l'appel et partir pour toucher la fragilité de l'être, sa sincérité, palper un coeur avec la plus grande délicatesse pour ne pas l'écraser, ne pas y faire entrer le vide, oublier un peu les livres, conserver une larme que le temps n'a pas prise et a laissée en suspension, un mot mouillé, pendant de l'océan. Faire oeuvre d'âme.

D'où vient cette impression que le présent se tient à distance du temps ? le passé ancien, récent, se brouille derrière son horizon, sait-on ce qu'il se trame dans la grande cuisine de la mémoire ? Je n'y vois rien, cette tendance à l'unisson, derrière la toile, une cacophonie pour une note pure, le devenir, l'oubli. Ô, mon chaos, restons unis. ...dérive... Le sens des mots tombe parfois dans les courbures de l'univers, s'y perd un peu, avant d'arriver à destination. Les mots vous parviennent alors, tout crottés de poussières d'étoiles, traînant leur long chemin étiré derrière eux, le sens luminescent. Rien ne se perd dans l'univers. Les quêtes ne sont pas vaines. Mais là, les bras vous tombent. Quelle farce du temps ! Vous balbutiez : Mais que faisais-tu aux temps chauds ? Par quel tesson clinquant étais-tu encore absorbée pour avoir tant l'esprit distrait ? ... dérive... j'ajoute une voix à ma collection : "un fragment chaud est un fragment qui cherche à se coller quelque part, le fragment froid n'a pas besoin d'explication, le vrai fragment est un fragment froid", "un fragment est un caillou jeté dans le vide" - Anne Coquelin, philosophe "fragmentiste" - la voix se déroule sans trembler, "le trembler de la voix est du fragment", le rire éclate. (entendue sur France Culture - La vie comme est va, de jeudi 13 janvier)

18 janvier : Aujourd'hui si différent d'hier. Entre les deux... l'ombre des siècles, et ses joyaux. Bruges, envoir les photos janvier. Un charme rompu, un autre s'éveille. Pouvais-je partir comme je l'avais prévu, en emportant le livre de G. Rodenbach, Bruges-la-Morte, le relire, là-bas, me replonger dans ce Bruges mystérieux, mélancolique et fantômatique que j'entendais, auquel je parlais, au cours de mes quelques précédents voyages? Le pouvais-je après avoir écouté, quelques heures avant le départ, un Philippe Sollers parlant avec gourmandise de son dictionnaire amoureux de Venise ? Ce ne pouvait plus être Bruges-la-Morte que j'allais rencontrer, toucher, penser, rêver, mais quelque chose de plus personnel, de plus authentique. Je fredonne cette chanson de Véronique Rivière "inegalter ego" : "où sont les sorcières... qu'est-ce qui s'est passé, qui s'est cassé... mais j'ai grandi..." Mon regard sur Bruges a lui aussi déposé sa mue sur une page désormais abandonnée, un livre refermé. Bruges : lire dans un petit hôtel, protégé par la masse élevée d'une cathédrale qui nous parle des hommes et du temps, marcher jusqu'au lac d'amour, le Minnewater, respirer avec les arbres la paix du Béguinage, autrefois habité par les Béguines, aujourd'hui remplacées par les Bénédictines ; et au retour du voyage, peut-être y a-t-il un peu moins de silence, un peu plus de lumière, mais pas de vraies réponses aux questions.... l'impression que j'ai beaucoup vieilli en trois jours, le silence n'est pas le même, tout simplement. Il faut encore apprendre à comprendre.

14 janvier : Porter, poser. Une phrase. Un corps. Nier le silence insidieux qui s'y déploie. Prendre un regard dans le creux du sien, l'aimer, l'aimer. Aimer. Peut-on s'en contenter ? Qu'est-ce qu'aimer ? Porter la vie avec grâce. Poser devant l'objectif, les elles ouvertes, impudiquement, prêtes à éployer les quatre vents plus loin qu'eux-mêmes. N'y être plus déjà, l'avoir atteint, naître. Une phrase qui n'en finit pas, parce qu'aucune phrase ne peut finir, le point n'existe pas, ou bien au commencement, là où rien n'a encore commencé, ne commencera jamais, parce que point n'est pas puisqu'il y a. Imaginons qu'un univers se déploie dans ce point. Non pas à partir, mais dedans. Ainsi la phrase ne peut finir et l'objectif négativise le sens. Le temps est né. Mais nous n'en savons rien, car la vie est chorégraphe du corps, et le corps vivant, seul est, dit, pense, aime. La vie. Et moi dedans. Toi, je veux dire. Ceux que je regarde, en retenant ma respiration. Coupure d'inspiration, bruit, la rumeur, dit Blanchot, le souffle de l'impuissance. Un petit mot épingler sur un mur qu'hier j'avais oublié. Fenêtres closes. Dans l'ombre les fantômes s'en donnent à coeur joie. "Il n'a jamais fait si froid sur cette terre que dans le siècle où la néoténie s'interrompit" [néoténie : persistance, temporaire ou permanente, des formes larvaires au cours du développement d'un organisme, dit le petit Robert] "L'univers grouille de fantômes ou de reflets mal colorisés, mal doublés ; les teintes en vieillissant débordent les formes ; peu à peu les langues anciennes se désynchronisent sur les chairs de mes lèvres" (P. Quignard - Les Ombres errantes). Nous partageons le territoire, oublions le point, c'est dans ses marges que l'homme va. Allaient encore hier. Tous un peu déjà passés, du passé. Aujourd'hui me reste en décalage, aujourd'hui. Le partage des corps, le partage des eaux, le partage des mots. Prenez place autour de la table, nourrissons-nous de nous, je me souviens de ce regard, on ne pouvait que l'aimer, qu'y puiser de la vie. Rompez le pain, le silence, l'indifférence. Elle les regardait avec une attention pleine, comme affamée d'eux. Lui, elle, qui ne la savaient pas là. Elle me les offrait en présence. L'enfant me vola son regard. Un enfant voit tout. Elle sourit, ils disparurent. Il n'y avait plus qu'elle et l'enfant, entre les absents. Lui, elle, dans l'implosion du passé, déjà. Puis l'enfant se détourna, elle retourna à son premier regard, le père, la mère, l'échange, avec les mêmes yeux emplis de la même intensité, elle était comme un porte-paroles inaudibles, et je puisais au seuil de ses pensées, un bonheur certain. Paris, RER, on ne s'y dilue pas toujours, il arrive que l'on sculpte quelques fragments d'éternité. Et puis cet autre regard. Il lit, lève les yeux, il sourit, un ange doit être dans le livre. Pourquoi, lorsqu'il croisa mon mien regard, souriant dans ma tête, perdit-il son sourire. Les anges sont des créatures séductrices. Que l'homme en voit un, et les livres en sont plein, il s'eloigne de l'homme. Pourtant le sourire de l'homme vaut bien un ange.

*

Le bonheur d'entrer dans un livre en bonne compagnie. Il n'en finit pas de s'offrir, ni les amis de s'ouvrir.

13 janvier : La peau muette, secrète, résistante, imperméable aux regards, une fissure.
Se lève, gonfle, rougit, brûle, cendres qu'éparpille le vent de fer.
Des croutes terre de sienne, le pain encore chaud, la langue sous les eaux de l'envie. Cascade, déchirure. Les corps dévorés.
Ils dorment. Ou bien sont un peu morts. C'était hier, diront ceux qui les emporteront. Par la peau. La fourrure pendue, l'animal en-dessous, sur le sol terre tassée, le sang coulé, rigole de vie en fuite, touché en plein coeur, touchez un peu, vous verrez comme c'est doux.
Odeur lourde, écoeurante, mielleuse, la ruche a perdu sa reine, son roi, la cour, ses ouvrières.
Fonte et terre et bois et blés dans les champs. La récolte sera bonne. Le chant dans les airs.
Danser, faire la ronde, farandole, les enfants sautent avec les moutons par dessus les cadavres des loups. La louve les couve du regard tendre et attentionné de la mère, l'éternité au coin de l'oeil.
Leur peau n'aura pas froid cet hiver, chair de poule dans la marmite, bouillon potion et magie en tout genre. Ses yeux jamais ne se ferment. Ses mains jamais n'ont fait défaut. Ses oreilles ont trop entendu le cri. Elle les veille.
La peau ne compte plus recouvrir l'âge encore bien longtemps. Peau usée, filandreuse, comme une toile cartonnée, cassante, miettes de peau qu'elle laisse choir sur son passage.
Rien ne bouge, pas même les bouillons figés dans la graisse, iceberg.
Rien ne presse, le temps s'envole, les âmes ont déserté. Elle dit, ils sont partis.
Elle et ses doigts rongés par l'amour. Ils reviendront.

12 janvier : levée de bonne heure, ce matin, bien avant l'aube d'hiver, j'ai écouté deux émissions en rediffusion sur France Culture. D'abord, Du jour au lendemain, l'excellente émission nocturne d'Alain Veinstein, voix de nuit, douces, chaudes, ambiance feutrée, cocon. Invité : Michaël Ferrier, pour son livre Tokyo Petits portraits de l'aube, petit roman court, écriture poétique, que j'ai lu il y a quelques mois. Tokyo, la nuit, Tokyo, ses nuits, ses soirées, devrais-je dire, les petits bistrots mènent jusqu'à l'aube au pays du soleil levant, l'aube, ce "moment très bref où toutes les formes de la vie se mettent à trembler". Le goût du saké - "Mon saké préféré porte le titre d'un grand roman de Gabriel Garcia Marquez" -, les kanji "l'apprentissage passe par l'échec du tracé". Michaël Ferrier fait allusion aux Notes de chevet, de Sei Shônagon, dame d'honneur de la cour impériale, au XIème siècle. Puis il parle des "révoltés" japonais, parmi lesquels Oé Kenzaburo qui se bat pour le pacifisme, Oé que j'ai appris à approcher, à apprécier, avec l'histoire de Mâ et Eoyore, personnages attachants d'Une existence tranquille. Son univers écrit est parfois un peu déphasant, l'écriture attachante et riche "Nous étions, mon frère et moi, deux menues graines prisonnières d'une enveloppe dure et d'une pulpe épaisse, deux graines vertes enchâssées dans une fine pellicule qui, à peine chatouillée par la lumière du dehors, frissonnerait et finirait par se détacher. Or à l'extérieur de l'écorce dure, du côté de la mer dont on voyait de la terrasse miroiter au loin le mince ruban, dans la cité par delà la houle des montagnes superposées, la guerre, à présent disgracieuse dans sa majesté de légende trop longtemps entretenue, vomissait un air croupi..." Gibiers d'élevage - Oé K.. A lire ses romans, ses nouvelles , son discours de réception pour le Nobel (repris dans Moi, d'un Japon ambigu), ses notes de Hiroshima, je me suis prise de tendresse pour cet homme, son écriture accueillante, j'y entends une parole silencieuse sous le foisonnement des mots. Le Japon ne m'est plus si loin, si inconnu.

L'autre émission, Tire ta langue, propose une lecture décortiquée et passionnante du Petit chaperon rouge, par Anne-Marie Garat, d'après son livre Une faim de loup. Les deux émissions sont réécoutables durant quelques jours.

11 janvier : Un petit pas récalcitrant, un grain de sable dans la chaussure, le pied tordu amorce le virage, un peu de distance gagnée, c'est au loin l'ample et puissant mouvement d'une voile, et les amarres larguées. Le quai et la silhouette s'éloignent, bientôt les miroirs auront oublié jusqu'à mon reflet, les cartes s'abattent, les dominos touillés et retournés dédoublent les murailles, grand bluff labyrinthique, une suite logique, demain s'annonce en clignotant de tous ses feux, ces petites morts de soi, les cocons éclatés, l'heure de s'évader.

Des mots, des images... unis vers, un rêve

09 janvier 2005 : l'abécédaire spontané du mois (daté du 03/01/05) : Antigone (une lumière) - Bauchau (L'enfant bleu - le Minotaure n'est pas l'ennemi) - Clio le chat (19 ans et demi) - distance (pour mieux voir) - écriture (mon chaos - image du chaos) - France Culture (rencontre de voix) - groupe (out) - homme (peut mieux faire) - image - journal (repères) - Kafka - livres (psycho-dépendance) - mots (animaux sauvages difficiles à apprivoiser) - nous (eux, lui, elle, je, toi) - oubli... - parents (chaînon manquant) - question (plus importante que la réponse) - regard (perfide aveuglement) - solitude - Terre - Ulysse - Vollmann (La famille royale, enfin terminé - 100 pages de trop) - Woolf, Virginia (lecture de son journal, en cours - "comme je suis heureuse… n'était cette impression d'une étroite bordure de trottoir au-dessus d'un gouffre." )

des blogs : le flotoir - le murmure des mots - poezibao
un site de photos : la funambule

transfert du mois de juillet 2004 en archives page 4

Meilleurs voeux pour 2005


25 novembre : d'un bord à l'autrevoir     1er novembre : façon d'autoportrait voir

19 octobre : la fête du cerf-volant à Dieppe, le 19 septembre 2004

15 octobre : unis vers... toute une histoire, qui bouge. Comme un livre, dit-elle, un livre dont elle croit pouvoir tourner les pages... hésitation...

30 septembre : passage rapide - on plie, on déplie, on replie... tout est dans l'image.


14 août : mise en hibernation

08 août : de nouvelles images de mon regard parisien, les chemins bifurquent, se démultiplient...

04 août : mise en ligne d'une nouvelle série, kaleidoscope d'un Paris revisité, ses rues s'ouvrent, s'entremêlent, se recomposent, se rêvent au décalage du regard de l'été.

03 août : c'était dimanche, une expo à la Maison européenne de la Photographie, je voulais voir l'expo de Marc Riboud, et je fus séduite par la série de Anne de Vandière, sur les mains, photos en noir et blanc accompagnées de textes, un regard intime. Mains d'un pêcheur groënlandais, mains de danseurs, main à six doigts, mains d'enfant, mains de vieillard, mains aimées, mains détestées...

1er août : Il s'agissait de Jean-François Vilar. J'ajouterai Prague et labyrinthe aux repères que j'avais retenus le 27 juillet. "Nous cheminons entourés de fantômes aux fronts troués". Excellent, ce livre. J'aime beaucoup le personnage principal, on le suivrait presque à la trace (ne l'ai-je point fait ? nous avons rendez-vous quelque part). Pourquoi aime-t-on un livre ? parce qu'on s'y sent vivre, non ? ou parce qu'il nous ouvre à une certaine réalité, une si simple réalité, la notre, qui nous montre que le chemin de la vie n'est peut-être pas si compliqué qu'on se le rend trop souvent. Merci m'sieur Vilar. J'accrocherais bien des choses au mur.

Petites réflexions du jour : Pour se porter disparu encore faut-il avoir été porté présence.
Leurre. Illusion. Bal maudit (blabla mots dits... sables mouvants... tout juste bon à prendre en photo)
"j'avais été fait et refait. Comme un rat. J'aimais les rats." (Vilar) Philosophie qui me va. J'aime les rats aussi, dans le fond. Ne changeons et ne regrettons rien, car nous ne sommes jamais que nos propres victimes. crouik. victimes ? vraiment ? allons, allons.
"L'immense chance que j'ai d'être aimé de toi." Là, seule réalité. Le reste... une petite valse. Et puis par quelle rue disparaître ? "rue de la lanterne" parait-il ? lanterne magique... qui m'aime me suive... ou plutôt non. L'univers conspire... clin d'oeil à un ami.

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