25 janvier : laboratoire d'essais : pas de fiole,
pas d'éprouvette, pas de cornue, juste une paillasse blanche
et quelques précipités ô combien volatiles,
à peine perceptibles. Et sur le bout de la langue, des
mots, hésitants, des mots gommés, des mots absorbés
par une distraction innocente, des mots rongés par l'amylase
mnésique, des dépots, des gravats, des bouts de
mots, des mots sourds qui dansent au loin dans le déjà
passé, insaisissables, libres de ne pas être dits,
des mots sans maîtres, des mots perdus, des mots d'ailleurs.
Furtive dimension, en déséquilibre entre deux mondes.
Ci-gît l'absence, tout devient blanc, opacifiant les sens,
coupant court à l'expérimentation, les pensées
sont ailleurs. Et bien, allons ailleurs ... Il était là,
hier encore, mangeant à pleine bouche son bout de pain,
faisant des ronds avec ses machoires, étirant les traits
de son visage en larges grimaces assouplies par des décennies
de pratique. Formes. Des formes, creux, rides, gouffre buccal.
Les yeux clos. Je le regarde bouger. Une certaine grâce
spatiale, la matière en mouvement. Il a toujours un livre
dans les mains, il est toujours à la même table,
près de la fenêtre. Le livre est usé, corné,
papier veilli, jamais le même, toujours un polar, écrit
en français, il sourit aux mots et leur répond
en les annotant, bénie soit la marge. C'est dans la marge
que s'ouvre le monde du lecteur, que le livre finit d'échapper
à l'auteur. Je suis dans sa marge, je trace dans la mienne
ses expressions devenues familières. Je le lis. Son grand
sac rouge est posé sur la tablette derrière lui.
Sa montre sur la table. Cette montre au gros bracelet métallique
enroulé est comme une anomalie, elle semble jouer le rôle
d'une intruse dans la composition du tableau. Légère
dysharmonie, c'est par là que ce que je sais de lui s'échappe.
On ne sait rien, c'est bien ainsi. Deux tasses de café
sur le plateau, une vide, une encore fumante. Il lit, ses yeux
balaient la salle. Je lis, je le regarde quand il lit, quand
il mange, quand ses yeux vadrouillent hors de la page. Hop, regards
croisés, collision de présences, échappées
vives, particules de l'un contre particules de l'autre, sauve
qui peut où chacun peut, rebonds sur les murs, les livres,
le monde, la rue, la salle, le livre, lui. Un jour, je lui dirai
bonjour, ne serait-ce qu'avec les yeux, un jour, quand les siens
le voudront bien.
24 janvier : programme du matin : faire fi des
doutes. Le noter. L'annoter, serait mieux ? Que dire d'un doute
? qu'à trop vouloir le disséquer, le traduire,
le dérouler, l'expliquer, lui donner de l'importance,
on se ferait croire qu'on se prend au sérieux. Boule de
doute, entre les dents, machouillée, sans goût,
jetée pannier. BUT ! Le doute est resté derrière,
et même s'il nous attend de nouveau au prochain virage,
c'est la ligne droite qui est l'instant présent. Profitons-en
pour traverser. "les
mots sont comme des pierres placés en travers d'une rivière
pour en faciliter la traversée"* : lire, savoir lire, avoir sa façon de
lire, faire sien le livre. Le livre devient peau, certains nous
vont comme un gant. Peau retournée, nous sommes dedans,
nous lui allons comme un corps à former, offert. Regarde
comme il épouse les formes de ma pensée, miroir,
vois comme elles se lient à lui, que crois-tu que tes
troubles reflets puissent encore dévoyer ? ...ligne droite...
Je continue ma lecture de La caverne. "Il faut comprendre que dans les
circumnavigations de la vie ce qui est brise plaisante pour les
uns peut être tempête fatale pour les autres, tout
dépend du tirant d'eau de l'embarcation et de l'état
des voiles"*. Et que
savons-nous de l'état des voiles de l'embarcation de cet
autre, si nous ne savons pas faire l'effort de l'écouter,
l'écouter en sa parole à lui, non en la notre ?
Ma voile va bien, merci, mais je sais des coups de vent ravageurs
sur mon océan de sable. Un petit grain peut devenir une
tragédie homérique. Et tous les dieux et diables
de nos plus antiques réminiscences viendraient bien y
faire ripaille. Alors, sagement, nous rapiéçons,
ravodons, reprisons, tissons sans relâche, la grand voile,
pour garder droit le cap, matelot. "nous ne devrions jamais nous
sentir sûrs de ce que nous croyons être car en cet
instant nous pourrions très bien être déjà
quelque chose de différent."* Aussi, loin de moi l'idée d'affirmer quoi
que ce soit, petites certitudes ont fait long feu.
* citations extraites de La caverne
- J. Saramago
23 janvier : "C'est parce que j'aime bavarder avec vous
comme si vous n'étiez pas mon père, j'aime faire
semblant, comme on dit, que nous sommes simplement deux personnes
qui s'aiment beaucoup, un père et une fille qui s'aiment
parce qu'ils sont cela, mais qui s'aimeraient autant, d'un amour
d'amis, s'ils n'étaient pas père et fille."
La caverne - José
Saramago. J'avais le livre depuis quelques mois, attendant qu'il
m'appelle. J'avais été forte impressionnée
par L'aveuglement. "Cela se mérite
de lire Saramago".
"La caverne" est un livre accueillant, ses premières
dizaines de pages sont chaleureusement humaines, je m'y sens
bien. ... Des livres, mes livres sont comme l'écriture
de Saramago, comme un flot qui menace de déborder et qu'il
me faut maîtriser. Ils envahissent mon espace, plus vite
que je ne peux les lire. Et là, j'entrevois déjà
ceux que je voudrais posséder... posséder, non,
ce sont eux qui me possèdent tant que je ne me lie pas
à intimement à eux. Lire, à lire, lu. Lu
dans la revue artpress, un article de Michaël Ferrier, sur
le dernier livre de Philippe Forest "La beauté du contresens", un
livre concernant la littérature japonaise, mais qui semble
s'ouvrir sur un bien plus vaste espace littéraire. "Les beaux livres
sont écrits dans une sorte de langue étrangère.
Sous chaque mot chacun de nous met son sens ou du moins son image.
qui est souvent un contresens. Mais dans les beaux livres, tous
les contresens qu'on fait sont beaux." et
Ferrier de me tenter plus encore en conseillant innocemment,
"l'utile complément : Nostalgies et autres labyrinthes,
entretiens de Oé Kenzaburô avec André Siganos
et Philippe Forest"... qu'elle est agréable cette
petite excitation de la curiosité ! ... retour... l'écriture
de Saramago ? : "Autoritaires,
paralysantes, circulaires,
parfois elliptiques, les phrases à effets, appelées
aussi dans un esprit facétieux pépites d'or, sont
un des fléaux les plus pernicieux qui aient ravagé
le monde. Nous disons aux irréfléchis, Connais-toi
toi-même, comme si se connaître n'était pas
la cinquième opération de l'arithmétique
humaine et la plus ardue, nous disons aux abouliques, Vouloir
c'est pouvoir, comme si les réalités bestiales
du monde ne s'amusaient pas à intervertir chaque jour
la position de ces verbes, nous disons aux indécis, Il
faut commencer par le commencement, comme si ce commencement
était l'extrémité toujours visible d'un
fil mal enroulé, qu'il suffirait de tirer et de continuer
à tirer jusqu'à parvenir à l'autre extrémité,
celle de la fin, et c'est comme si, entre la première
et la seconde, nous avions eu entre les mains un fil lisse et
continue le long duquel il n'avait pas été nécessaire
de défaire des noeuds ni de débrouiller des étranglements,
ce qui est impensable dans la vie des écheveaux, et si
une expression à effet nous est permise, dans les écheveaux
de la vie." (extrait
de La caverne - J. Saramago)
22 janvier : A fréquenter le passé,
on finirait par s'y chercher. Y chercher ce qui nous ferait place.
Y
retrouver sa trace, et vouloir en rapporter un souvenir avec
soi, en faire un survenir en soi, et faire autre cette trace
...dérive... L'enfer : "Le tourment que tu as t'efface peut-être
de ma mémoire, si bien qu'il me paraît ne t'avoir
jamais vu." (Dante
- chant VI) En enfer les
mots se perdent dans les gargouillis de la gorge noyée
de boue. L'oubli de l'autre est une porte ouverte sur l'enfer.
Les mots de Dante nous sont une barque voguant dans le musée
de l'horreur (ci-contre
le tableau d'Eugène Delacroix) ...dérive... Venise serait un paradis
? libre à soi de choisir entre le "libertinage poussé à
son comble, (ou la) pureté de la
méditation sacrée." C'est ainsi, Venise, nous dit Sollers, dans son
dictionnaire amoureux de Venise. Et il passe adroitement
de l'amour libertin à l'art sacré, encore de l'amour.
"rien
n'est le contraire de rien" ...dérive...
"Clarté,
nous t'invoquons |
|
depuis le
labyrinthe" Ezra Pound |
"Ezra Pound a percé
une fenêtre en notre mur." écrit Michel Butor.
Il ajoute : "Quel sens du livre ! Quel sens de la langue
et des langues ! [...] Un mot chez lui, n'est jamais seul, une
langue non plus, donc un peuple ; un mot, c'est toute une façon
de parler, de penser, de voir, de vivre, qu'il apporte avec lui."
(Les Cantos, Ezra Pound). Je ne sais pas tout
lire, ni le chinois, ni le latin, ni le grec, ni le... ni le,
je me débrouille avec l'italien comme je peux. Andiamo,
andiamo.
"Pour
un raffinement du langage, c'en est un
 |
Si nous n'écrivons
jamais rien qui ne soit déjà compris, le domaine
de l'entendement ne grandira jamais. On réclame le droit
d'écrire, de temps à autre, pour cette poignée
de gens dont les prédilections sont spécialisées
et dont la curiosité va plus loin dans le détail." - Trônes
- E. Pound |
Mise en chemin du petit
monde minéral, sur la page promenades |
20 janvier : journal personnel : un petit pas
de danse, souris inconsciente, devant le miroir trouble, de dos
toujours, les yeux bandés, juste sentir, éveiller
les formes, rêver un saut de chat, souple, les muscles
vifs, le poil brillant, la perfection devant
le miroir de l'illusion, les mots brûlant, dévorant
le nid blanc, des braises pour recouvrir les cendres, ce qu'on
appelle la foi, insidieusement soufflée par le vent de
la lucidité, voyage en crash-land. Le sol se dérobe.
Ainsi va l'écriture, cet exquis petit moment qui mène
au bord du gouffre. Le miroir trop net, le trouble en soi, les
mots déformés, de guingois, couleurs éteintes,
étreintes douloureuses. Songer à la vie. Se dégager
de la grisaille. Parler lecture, des heures passées avec
Narcisse et Goldmund. L'un et l'autre, l'esprit et la vie, que
serait l'un sans l'autre ? Accepter l'immersion dans l'écriture
imagée d'Hermann Hesse. "Il ne manque pas de ces
gens à qui il a été donné de sentir
profondément et dans toute sa puissance la beauté
du monde, et de conserver dans leur âme de hautes et nobles
images, mais qui ne découvrent pas la voie par où
elle pourront se dégager, se manifester au-dehors et se
communiquer aux autres pour leur joie." Faire oeuvre d'art.
Faire oeuvre d'homme... d'autres mots lus là-bas, en ce
lointain, entendre l'appel et partir pour toucher la fragilité
de l'être, sa sincérité, palper un coeur
avec la plus grande délicatesse pour ne pas l'écraser,
ne pas y faire entrer le vide, oublier un peu les livres, conserver
une larme que le temps n'a pas prise et a laissée en suspension,
un mot mouillé, pendant de l'océan. Faire oeuvre
d'âme.
D'où vient cette impression
que le présent se tient à distance du temps ? le
passé ancien, récent, se brouille derrière
son horizon, sait-on ce qu'il se trame dans la grande cuisine
de la mémoire ? Je n'y vois rien, cette tendance à
l'unisson, derrière la toile, une cacophonie pour une
note pure, le devenir, l'oubli. Ô, mon chaos, restons unis.
...dérive... Le sens des mots tombe parfois dans les courbures
de l'univers, s'y perd un peu, avant d'arriver à destination.
Les mots vous parviennent alors, tout crottés de poussières
d'étoiles, traînant leur long chemin étiré
derrière eux, le sens luminescent. Rien ne se perd dans
l'univers. Les quêtes ne sont pas vaines. Mais là,
les bras vous tombent. Quelle farce du temps ! Vous balbutiez
: Mais que faisais-tu aux temps chauds ? Par quel tesson clinquant
étais-tu encore absorbée pour avoir tant l'esprit
distrait ? ... dérive... j'ajoute une voix à ma
collection : "un fragment chaud est un fragment qui cherche
à se coller quelque part, le fragment froid n'a pas besoin
d'explication, le vrai fragment est un fragment froid",
"un fragment est un caillou jeté dans le vide"
- Anne Coquelin, philosophe "fragmentiste"
- la voix se déroule sans trembler, "le trembler
de la voix est du fragment", le rire éclate. (entendue
sur France Culture - La vie comme est va, de jeudi 13 janvier)
18 janvier : Aujourd'hui si différent
d'hier. Entre les deux... l'ombre des siècles, et ses
joyaux. Bruges, en janvier. Un charme rompu, un autre
s'éveille. Pouvais-je partir comme je l'avais prévu,
en emportant le livre de G. Rodenbach, Bruges-la-Morte, le relire, là-bas,
me replonger dans ce Bruges mystérieux, mélancolique
et fantômatique que j'entendais, auquel je parlais, au
cours de mes quelques précédents voyages? Le pouvais-je
après avoir écouté, quelques heures avant
le départ, un Philippe Sollers parlant avec gourmandise
de son dictionnaire amoureux de Venise ? Ce ne pouvait plus être
Bruges-la-Morte que j'allais rencontrer, toucher, penser, rêver,
mais quelque chose de plus personnel, de plus authentique. Je
fredonne cette chanson de Véronique Rivière "inegalter
ego" : "où sont les sorcières... qu'est-ce
qui s'est passé, qui s'est cassé... mais j'ai grandi..."
Mon regard sur Bruges a lui aussi déposé sa mue
sur une page désormais abandonnée, un livre refermé.
Bruges : lire dans un petit hôtel, protégé
par la masse élevée d'une cathédrale qui
nous parle des hommes et du temps, marcher jusqu'au lac d'amour,
le Minnewater, respirer avec les arbres la paix du Béguinage,
autrefois habité par les Béguines, aujourd'hui remplacées
par les Bénédictines ; et au retour du voyage,
peut-être y a-t-il un peu moins de silence, un peu plus
de lumière, mais pas de vraies réponses aux questions....
l'impression que j'ai beaucoup vieilli en trois jours, le silence
n'est pas le même, tout simplement. Il faut encore apprendre
à comprendre.
14
janvier : Porter, poser. Une phrase. Un corps. Nier le silence
insidieux qui s'y déploie. Prendre un regard dans le creux
du sien, l'aimer, l'aimer. Aimer. Peut-on s'en contenter ? Qu'est-ce
qu'aimer ? Porter la vie avec grâce. Poser devant l'objectif,
les elles ouvertes, impudiquement, prêtes à éployer
les quatre vents plus loin qu'eux-mêmes. N'y être
plus déjà, l'avoir atteint, naître. Une phrase
qui n'en finit pas, parce qu'aucune phrase ne peut finir, le
point n'existe pas, ou bien au commencement, là où
rien n'a encore commencé, ne commencera jamais, parce
que point n'est pas puisqu'il y a. Imaginons qu'un univers se
déploie dans ce point. Non pas à partir, mais dedans.
Ainsi la phrase ne peut finir et l'objectif négativise
le sens. Le temps est né. Mais nous n'en savons rien,
car la vie est chorégraphe du corps, et le corps vivant,
seul est, dit, pense, aime. La vie. Et moi dedans. Toi, je veux
dire. Ceux que je regarde, en retenant ma respiration. Coupure
d'inspiration, bruit, la rumeur, dit Blanchot, le souffle de
l'impuissance. Un petit mot épingler sur un mur qu'hier
j'avais oublié. Fenêtres closes. Dans l'ombre les
fantômes s'en donnent à coeur joie. "Il n'a
jamais fait si froid sur cette terre que dans le siècle
où la néoténie s'interrompit" [néoténie : persistance,
temporaire ou permanente, des formes larvaires au cours du développement
d'un organisme, dit le petit Robert]
"L'univers grouille de fantômes ou de reflets mal
colorisés, mal doublés ; les teintes en vieillissant
débordent les formes ; peu à peu les langues anciennes
se désynchronisent sur les chairs de mes lèvres"
(P. Quignard - Les Ombres errantes). Nous partageons le
territoire, oublions le point, c'est dans ses marges que l'homme
va. Allaient encore hier. Tous un peu déjà passés,
du passé. Aujourd'hui me reste en décalage, aujourd'hui.
Le partage des corps, le partage des eaux, le partage des mots.
Prenez place autour de la table, nourrissons-nous de nous, je
me souviens de ce regard, on ne pouvait que l'aimer, qu'y puiser
de la vie. Rompez le pain, le silence, l'indifférence.
Elle les regardait avec une attention pleine, comme affamée
d'eux. Lui, elle, qui ne la savaient pas là. Elle me les
offrait en présence. L'enfant me vola son regard. Un enfant
voit tout. Elle sourit, ils disparurent. Il n'y avait plus qu'elle
et l'enfant, entre les absents. Lui, elle, dans l'implosion du
passé, déjà. Puis l'enfant se détourna,
elle retourna à son premier regard, le père, la
mère, l'échange, avec les mêmes yeux emplis
de la même intensité, elle était comme un
porte-paroles inaudibles, et je puisais au seuil de ses pensées,
un bonheur certain. Paris, RER, on ne s'y dilue pas toujours,
il arrive que l'on sculpte quelques fragments d'éternité.
Et puis cet autre regard. Il lit, lève les yeux, il sourit,
un ange doit être dans le livre. Pourquoi, lorsqu'il croisa
mon mien regard, souriant dans ma tête, perdit-il son sourire.
Les anges sont des créatures séductrices. Que l'homme
en voit un, et les livres en sont plein, il s'eloigne de l'homme.
Pourtant le sourire de l'homme vaut bien un ange.
*
Le bonheur d'entrer dans un
livre en bonne compagnie. Il n'en finit pas de s'offrir, ni les
amis de s'ouvrir.
13 janvier : La peau muette, secrète,
résistante, imperméable aux regards, une fissure.
Se lève, gonfle, rougit, brûle, cendres qu'éparpille
le vent de fer.
Des croutes terre de sienne, le pain encore chaud, la langue
sous les eaux de l'envie. Cascade, déchirure. Les corps
dévorés.
Ils dorment. Ou bien sont un peu morts. C'était hier,
diront ceux qui les emporteront. Par la peau. La fourrure pendue,
l'animal en-dessous, sur le sol terre tassée, le sang
coulé, rigole de vie en fuite, touché en plein
coeur, touchez un peu, vous verrez comme c'est doux.
Odeur lourde, écoeurante, mielleuse, la ruche a perdu
sa reine, son roi, la cour, ses ouvrières.
Fonte et terre et bois et blés dans les champs. La récolte
sera bonne. Le chant dans les airs.
Danser, faire la ronde, farandole, les enfants sautent avec les
moutons par dessus les cadavres des loups. La louve les couve
du regard tendre et attentionné de la mère, l'éternité
au coin de l'oeil.
Leur peau n'aura pas froid cet hiver, chair de poule dans la
marmite, bouillon potion et magie en tout genre. Ses yeux jamais
ne se ferment. Ses mains jamais n'ont fait défaut. Ses
oreilles ont trop entendu le cri. Elle les veille.
La peau ne compte plus recouvrir l'âge encore bien longtemps.
Peau usée, filandreuse, comme une toile cartonnée,
cassante, miettes de peau qu'elle laisse choir sur son passage.
Rien ne bouge, pas même les bouillons figés dans
la graisse, iceberg.
Rien ne presse, le temps s'envole, les âmes ont déserté.
Elle dit, ils sont partis.
Elle et ses doigts rongés par l'amour. Ils reviendront.
12
janvier : levée de bonne heure, ce matin, bien avant
l'aube d'hiver, j'ai écouté deux émissions
en rediffusion sur France Culture. D'abord, Du jour au lendemain,
l'excellente émission nocturne d'Alain Veinstein, voix
de nuit, douces, chaudes, ambiance feutrée, cocon. Invité
: Michaël Ferrier, pour son livre
Tokyo Petits portraits de l'aube, petit roman court, écriture
poétique, que j'ai lu il y a quelques mois. Tokyo, la
nuit, Tokyo, ses nuits, ses soirées, devrais-je dire,
les petits bistrots mènent jusqu'à l'aube au pays
du soleil levant, l'aube, ce "moment très bref où
toutes les formes de la vie se mettent à trembler".
Le goût du saké - "Mon saké préféré
porte le titre d'un grand roman de Gabriel Garcia Marquez"
-, les kanji "l'apprentissage passe par l'échec du
tracé". Michaël Ferrier fait allusion aux Notes
de chevet, de Sei Shônagon, dame d'honneur de
la cour impériale, au XIème siècle. Puis
il parle des "révoltés" japonais, parmi
lesquels Oé Kenzaburo qui se bat pour le
pacifisme, Oé que j'ai appris à approcher, à
apprécier, avec l'histoire de Mâ et Eoyore, personnages
attachants d'Une existence tranquille. Son univers écrit
est parfois un peu déphasant, l'écriture attachante
et riche "Nous
étions, mon frère et moi, deux menues graines prisonnières
d'une enveloppe dure et d'une pulpe épaisse, deux graines
vertes enchâssées dans une fine pellicule qui, à
peine chatouillée par la lumière du dehors, frissonnerait
et finirait par se détacher. Or à l'extérieur
de l'écorce dure, du côté de la mer dont
on voyait de la terrasse miroiter au loin le mince ruban, dans
la cité par delà la houle des montagnes superposées,
la guerre, à présent disgracieuse dans sa majesté
de légende trop longtemps entretenue, vomissait un air
croupi..." Gibiers d'élevage - Oé K.. A lire ses romans, ses nouvelles
, son discours de réception pour le Nobel (repris dans
Moi, d'un Japon ambigu), ses notes de Hiroshima, je me suis prise
de tendresse pour cet homme, son écriture accueillante,
j'y entends une parole silencieuse sous le foisonnement des mots.
Le Japon ne m'est plus si loin, si inconnu.
L'autre émission, Tire ta langue, propose une lecture décortiquée
et passionnante du Petit chaperon rouge, par Anne-Marie Garat,
d'après son livre Une faim de loup. Les deux émissions sont réécoutables
durant quelques jours.
11 janvier : Un petit pas récalcitrant, un grain de
sable dans la chaussure, le pied tordu amorce le virage, un peu
de distance gagnée, c'est au loin l'ample et puissant
mouvement d'une voile, et les amarres larguées. Le quai
et la silhouette s'éloignent, bientôt les miroirs
auront oublié jusqu'à mon reflet, les cartes s'abattent,
les dominos touillés et retournés dédoublent
les murailles, grand bluff labyrinthique, une suite logique,
demain s'annonce en clignotant de tous ses feux, ces petites
morts de soi, les cocons éclatés, l'heure de s'évader.
Des mots, des images... unis vers, un rêve
09 janvier 2005 : l'abécédaire spontané
du mois (daté du 03/01/05) : Antigone (une lumière)
- Bauchau (L'enfant bleu - le Minotaure n'est pas l'ennemi) -
Clio le chat (19 ans et demi) - distance (pour mieux voir) -
écriture (mon chaos - image du chaos) - France Culture
(rencontre de voix) - groupe (out) - homme (peut mieux faire)
- image - journal (repères) - Kafka - livres (psycho-dépendance)
- mots (animaux sauvages difficiles à apprivoiser) - nous
(eux, lui, elle, je, toi) - oubli... - parents (chaînon
manquant) - question (plus importante que la réponse)
- regard (perfide aveuglement) - solitude - Terre - Ulysse -
Vollmann (La famille royale, enfin terminé - 100 pages
de trop) - Woolf, Virginia (lecture de son journal, en cours
- "comme je suis heureuse
n'était cette impression
d'une étroite bordure de trottoir au-dessus d'un gouffre."
)
des blogs : le flotoir - le murmure des mots - poezibao
un site de photos : la funambule
transfert du mois de juillet
2004 en archives page 4
Meilleurs voeux pour 2005
25 novembre : d'un bord à l'autre |
|
1er novembre : façon d'autoportrait  |
19 octobre : la fête du cerf-volant à
Dieppe, le 19 septembre 2004

15 octobre : unis vers... toute une histoire,
qui bouge. Comme un livre, dit-elle, un livre dont elle croit
pouvoir tourner les pages... hésitation...
30 septembre : passage rapide - on plie, on
déplie, on replie... tout est dans l'image.
14 août : mise en hibernation
08 août : de nouvelles images de mon regard
parisien, les chemins bifurquent, se démultiplient...
04 août : mise en ligne d'une nouvelle série,
kaleidoscope d'un Paris revisité,
ses rues s'ouvrent, s'entremêlent, se recomposent, se rêvent
au décalage du regard de l'été.
03 août : c'était dimanche, une expo
à la Maison européenne de la Photographie,
je voulais voir l'expo de Marc Riboud, et je fus séduite
par la série de Anne de Vandière, sur les mains,
photos en noir et blanc accompagnées de textes, un regard
intime. Mains d'un pêcheur groënlandais, mains de
danseurs, main à six doigts, mains d'enfant, mains de
vieillard, mains aimées, mains détestées...
1er août : Il s'agissait de Jean-François
Vilar. J'ajouterai Prague et labyrinthe aux repères que
j'avais retenus le 27 juillet. "Nous cheminons entourés de fantômes
aux fronts troués". Excellent, ce livre. J'aime
beaucoup le personnage principal, on le suivrait presque à
la trace (ne l'ai-je point fait ? nous avons rendez-vous quelque
part). Pourquoi aime-t-on un livre ? parce qu'on s'y sent vivre,
non ? ou parce qu'il nous ouvre à une certaine réalité,
une si simple réalité, la notre, qui nous montre
que le chemin de la vie n'est peut-être pas si compliqué
qu'on se le rend trop souvent. Merci m'sieur Vilar. J'accrocherais
bien des choses au mur.
Petites réflexions du
jour : Pour se porter disparu encore faut-il avoir été
porté présence.
Leurre. Illusion. Bal maudit (blabla mots dits... sables mouvants...
tout juste bon à prendre en photo)
"j'avais été fait et refait. Comme un rat.
J'aimais les rats." (Vilar) Philosophie qui me va. J'aime
les rats aussi, dans le fond. Ne changeons et ne regrettons rien,
car nous ne sommes jamais que nos propres victimes. crouik. victimes
? vraiment ? allons, allons.
"L'immense chance que j'ai d'être aimé de toi."
Là, seule réalité. Le reste... une petite
valse. Et puis par quelle rue disparaître ? "rue de
la lanterne" parait-il ? lanterne magique... qui m'aime
me suive... ou plutôt non. L'univers conspire... clin d'oeil
à un ami. |